L’HÉRITAGE MALLET, UN TONTON D’AMÉRIQUE SAINTONGEAIS
A la fin du 19ème siècle, dans le petit village de La Chagnée, sur la commune de Fontenet, à 4 kilomètres de Saint Jean d’Angély, on découvrait, cachée dans la charpente d’une maison, une lettre testamentaire datée du 12 janvier 1815. Cette lettre avait été envoyée par Jean Mallet depuis un endroit appelé Qulistambert quelque part aux Etats-Unis. Nul ne sait exactement l’emplacement de cette localité que l’on suppose être dans le Vermont ou un état voisin. Ce Jean Mallet, fils de Pierre Mallet et Anne Sauvion, était né à Authon le 8 février 1779. Il avait trois frères et trois soeurs. Parti en Amérique on ne sait trop quand, il y aurait épousé une riche héritière, ce qui est toujours la meilleure méthode pour faire fortune. Son épouse décédée sans avoir eu d’enfants et sentant sa fin prochaine suite à un accident, il écrivit à ses oncles Pierre Morin et Elie Joguet en les pressant de le rejoindre pour régler sa succession. Il laissait 18 millions d’argent ainsi qu’un domaine donnant un million de revenu par an. Les oncles en question, simples laboureurs étaient bien dans l’incapacité totale d’entreprendre un tel voyage. Etant analphabètes ont-ils seulement su le contenu du précieux document ? La lettre fut dissimulée sous la charpente de la maison et resta dans l’oubli jusqu’au jour où on la retrouva par hasard plusieurs décennies plus tard, en 1892. Ce fut le point de départ de l’« affaire de l’héritage Mallet » qui défraya la chronique pendant des dizaines d’années avec des périodes de stagnation et des rebondissements épisodiques. Le premier épisode de l’affaire se déroula donc en 1889 avec la découverte du testament et la réunion d’un conseil de famille qui resta longtemps dans les mémoires. Ce conseil de famille eut lieu dans la maison de M.Jaguenaud, toujours à La Chagnée. Alexandre Morin apporta le manuscrit enfermé dans un étui en fer blanc fabriqué pour la circonstance par Frédéric Girard, mon arrière grand-père qui était couvreur et ferblantier pour faire les dalles des toits. On fit venir un homme d’affaires de Rochefort, Léon Cailleaud. La sœur de ma grand mère, Camille Girard, encore adolescente à l’époque, s’est toujours souvenu du fait qui l’avait marquée à savoir que M.Cailleaud ne fut autorisé à voir le testament qu’à travers la vitre de la maison. On ne sait jamais! La rumeur familiale raconte que ce monsieur Cailleaud aurait accepter de traverser l’Atlantique pour régler l’affaire moyennant 10% de l’héritage. Nul ne sait comment il l’a réglée car nul ne l’a jamais revu! Quelques mauvaises langues ont osé supposer qu’il aurait bien empoché le magot mais oublié de rentrer au pays… En réalité il semble plutôt que personne n’a jamais réussi à trouver où se situait Qulistambert. Léon Cailleaud a publié un livre à Rochefort en 1889 : « Historique de l’affaire Mallet ». Je suppose que l’adresse exacte devait être au revers de l’enveloppe mais que celle ci a été perdue. En tout cas on oublia cette histoire jusqu’au 21 octobre 1926 date à laquelle quelques héritiers impatients et entreprenants fondèrent la « Société dite de Défense des Intérêts des Héritiers Mallet » à Rochefort. Quand j’ai démonté la cheminée de ma maison de la Petite Clie j’ai eu la surprise de découvrir une enveloppe contenant les statuts de cette société. René Girard, frère de ma grand-mère en était le trésorier. Malheureusement sa fille qui réside toujours à Rochefort ne possède plus aucun document de cette société qui pourtant éditait un bulletin trimestriel. Hélas ce groupe d’héritiers, malgré son dynamisme, n’aboutit pas à ses fins et toute l’affaire retomba en sommeil jusqu’au début des années cinquante. A cette date une soi disante « princesse Ayoubi » surgie d’on ne sait où se fit fort d’accomplir le voeu des héritiers qui, à l’époque, étaient déjà plusieurs centaines. Elle monta une association dont le principal but était, en fait, de récupérer des fonds pour son escarcelle aux dépends des naïfs. Elle donna plusieurs conférences dans la région avant de finir en prison. Il faut dire qu’à cette époque les nombreux articles parus dans les journaux évaluaient le pactole à 200 milliards de centimes ce qui laisse évidemment rêveur. Des vocations d’héritier Mallet naquirent dans toute la France. En Normandie, dans la Vienne et ailleurs on découvrit un Jean Pierre Mallet parti lui aussi faire fortune en Amérique. Il paraît même que le ministère de l’Intérieur entreprit une enquête pour tenter d’élucider la question. Dans les familles on évoque parfois untel qui serait devenu subitement riche après avoir fait le voyage d’outre-atlantique… Bref ce fabuleux héritage fait encore rêver même si l’espoir d’encaisser les milliards s’amenuise de jour en jour car aujourd’hui nous sommes plusieurs milliers de prétendants. Si jamais vous possédiez quelques documents concernant cette affaire, notamment des archives de la société des héritiers fondée à Rochefort en 1926, je vous serais extrêmement reconnaissant de bien vouloir me contacter. Le très gros problème est que personne n’a jamais réussi à trouver ce fameux village de Qulistambert. Il ne figure pas dans les atlas ni sur Google map. A l’époque la moitié du territoire américain était français. Les Etats-Unis n’existaient pas encore. La Louisiane montait jusqu’au Canada et il y a de très fortes probabilités pour que Mallet se soit installé dans cette partie du pays.
Addenda décembre 2009:
La tradition orale nous rapporte que Mallet travaillait au moulin de Varaize. Pendant la période révolutionnaire l’ambiance à Varaize était extrêmement tendue. Le curé de Varaize de l’époque, le père Desmarais, a écrit : « J’ai été pendant trois jours entre la vie et la mort. J’ai résisté pendant neuf mois à des menaces continuelles, à des trahisons, à des calomnies extravagantes… J’aurais certainement préféré sortir d’un pays qui ne respire que la cruauté et la barbarie, si j’avais la moindre apparence de ressources pour subsister. »
A Varaize un homme a été attaché aux ailes du moulin et cela avait déclenché un vif mouvement de protestation. On sait que Mallet avait dû fuir car il avait commis une grosse bêtise. J’ai tendance à penser qu’il était le coupable dans cette affaire d’homme attaché aux ailes du moulin. A l’époque beaucoup de bateaux partaient de La Rochelle ou de Rochefort pour les Amériques. C’est clair que la solution la plus facile pour échapper à la police était d’embarquer sur un bateau. En ce temps là il n’y avait pas de papiers d’identité et chacun pouvait embarquer sous un faux nom. Je n’ai rien trouvé sur les rôles d’équipage à la bibliothèque de la marine à Rochefort.
Le problème est de savoir l’endroit où il s’était installé aux Etats-Unis. A l’époque il y avait encore beaucoup de francophones descendant de Français dans certains états comme le Maine sans oublier, évidemment, la Louisiane. Il existe un Bayou Mallet en Floride et un lac Mallet dans le Vermont. Je n’ai pas réussi à retrouver le village de Qulistambert comme il est indiqué dans la lettre dans aucun état. Il faut savoir que cette lettre est une copie de l’original et que la transcription n’est pas forcément exacte d’autant que Mallet ne devait sûrement pas savoir écrire trop correctement.
On a cru trouver dans la ville de Burlington (Vermont) le lieu d’origine de la lettre car il s’y trouve une Baie Mallet sur les rives du lac Champlain. En fait le Mallet en question était un trappeur décédé bien avant l’arrivée de notre Mallet en Amérique.
Addenda septembre 2012:
Je pense avoir trouvé l’emplacement de ce mystérieux Qulistambert, aux Etats-Unis. Pour l’instant je garde secret le nom de cette ville qui se situe dans l’ancienne Louisiane. Si un jour j’ai l’occasion d’aller faire un tour en Amérique j’irai voir sur place…
Lettre de Jean Mallet à sa famille (retrouvée dans les archives d’un notaire de Saint-Jean d’Angély)