Croyances et traditions chez les Bisayas, découverte de la culture philippine


                      J’ai l’habitude de dire en plaisantant que les Philippins sont à 90% catholiques et 8% musulmans mais à 100% animistes. En fait, on oppose habituellement les « Philippins des plaines », comme les Tagals ou les Bisayas, aux « Philippins des montagnes ». Les premiers seraient monothéistes, les seconds animistes. Cette vision des choses est celle de ceux qui ne connaissent que l’apparence extérieure de la réalité philippine. Quand on connaît mieux la culture profonde des Philippins, on sait que, malgré ce que l’on peut lire dans certains sites sur internet, le catholicisme, pourtant très vivant, n’a jamais effacé les croyances animistes ancestrales. La vie quotidienne est ponctuée à chaque instant par des interdits, des tabous, des superstitions omniprésentes, des règles à respecter, des croyances, des attitudes, des gestes qui sont identiques à ce que l’on peut observer chez les populations dites « primitives ». L’étude du langage (ethnolinguistique) des Bisayas nous renseigne sur les traditions anciennes dont certaines ont été oubliées. Même la pratique de la religion catholique nous révèle des éléments fondamentaux des liens de parenté, notamment quand il s’agit des baptêmes. Le comportement des individus dans la vie de tous les jours diffère beaucoup de celui des occidentaux bien que cela passe le plus souvent inaperçu aux yeux des étrangers. Je pense que c’est non seulement ma formation d’ethnologue, mais surtout mon sens de l’observation ainsi que ma curiosité scientifique insatiable, qui m’ont permis de découvrir peu à peu les facettes cachées de la vie philippine. La plupart des « amerikanos » (ce terme désigne les hommes de race blanche quelle que soit leur nationalité, un Noir américain ne sera jamais appelé amerikano) mariés à une Philippine ne soupçonnent même pas l’existence de ces croyances, rites et traditions diverses que les Philippins préfèrent cacher quand ils ne les renient pas carrément. Un ami français de Manille marié à une Bisaya et qui vit bien intégré au sein de la société philippine puisque s’occupant des enfants des rues et des familles pauvres, m’a dit en parlant des épouses philippines : «On ne joue pas dans la même cour de récréation ». Cela veut bien dire qu’effectivement la différence culturelle est profonde et que la façon de réagir à une situation donnée, la façon de penser, la façon de s’exprimer, sont fondamentalement différentes des nôtres. Cela ne signifie pas, évidemment, que l’on ne peut pas se comprendre, mais chacun doit faire un effort pour comprendre l’autre et accepter sa différence.
J’ai vécu plusieurs années au sein de ma belle-famille, à Taroc, petit village de pêcheurs au sud d’Ormoc sur la côte ouest de Leyte et je vais essayer, dans ces quelques pages, de donner une description (assez complète) de la culture philippine et plus particulièrement de la culture bisaya, mon épouse étant bisaya cebuanophone.

Anthropologie physique

Avant de décrire la société bisaya je voudrais évoquer sommairement les principales caractéristiques physiques des Philippins. Je sais que l’anthropologie physique est non seulement abandonnée mais est devenue, depuis les dernières décennies, un sujet tabou. On m’a rebattu les oreilles pendant mes études d’ethnologie du fait que les races n’existaient pas et que les différences physiques entre les différentes ethnies qui peuplent la planète n’étaient que des différences culturelles. Autrement dit : il est impossible de distinguer physiquement un Breton d’un Inuit ou d’un Camerounais. Tous ceux qui penseraient autrement ne sont pas « politiquement corrects » et seraient forcément des racistes et même, pourquoi pas, des nazis. Un jour je parlais avec un monsieur dont j’ignorais tout et je lui ai demandé s’il n’était pas de Wallis. Et il était effectivement Wallisien… Une autre fois je me trouvais derrière un vieux monsieur aux cheveux blancs. Je ne voyais que sa nuque et cela m’a suffit pour savoir qu’il était asiatique. Il était effectivement asiatique…Un autre jour trois jeunes filles à la peau très noire m’ont demandé un renseignement. Tout le monde pensait qu’elles étaient africaines. J’ai tout de suite vu qu’elles étaient Kanak et effectivement elles n’étaient pas africaines mais Kanak. Malgré ce que beaucoup s’imaginent la couleur de la peau est très secondaire en anthropologie physique. Par contre les Mélanésiens ont une caractéristique physique propre très évidente. Une autre fois j’ai eu affaire à un jeune couple. Tout de suite je leur ai demandé s’ils étaient tahitiens, et ils l’étaient !!! Il y a même certains traits physiques distinctifs parmi les habitants des provinces françaises. Je me souviens d’avoir demandé à la dame qui me vendait mon sandwich tous les midis si elle n’était pas bretonne. Et, elle l’était ! J’avais remarqué sur son visage un caractère que je n’ai vu qu’en Bretagne… Tout cela pour dire qu’il y a bien des caractéristiques physiques propres à chaque race. On peut même facilement distinguer un squelette africain d’un squelette européen ou asiatique. Et c’est cette diversité qui fait la richesse de l’espèce humaine. Si nous étions tous des clones comme voudraient nous le faire croire les soi disant anti racistes, la vie serait affreuse. Les Philippins, qui, eux, ne subissent pas encore le diktat de la pensée unique et ont donc gardé l’esprit clair, disent d’eux-mêmes qu’ils appartiennent à la race malaise. Il est vrai que l’on peut observer de grandes différences physiques entre les individus car s’il est indéniable qu’il existe des races, il est tout aussi vrai que les races « pures » sont rarissimes. On peut retrouver chez certains Philippins les traces de métissage chinois, particulièrement dans les provinces du nord-ouest. J’ai vu aussi parfois quelques individus de type hindou bien que très rares. Il y a eu aussi quelques mélanges tout aussi  rares avec les Négritos et enfin avec les Espagnols. En réalité les mariages interethniques étaient l’exception  mais c’est une réalité bien connue qu’un certain nombre de jeunes filles ont été engrossées, dans le passé, par les prêtres espagnols (hijo de padre). Les Philippins font d’ailleurs bien la distinction entre les philippins « purs » et ceux qui sont métissés (mestisos). La première caractéristique qui s’applique à la race philippine est la couleur de la peau, même si c’est ce qui est le plus variable. Il est curieux de constater qu’au sein d’une même famille, les frères et sœurs  peuvent avoir une carnation extrêmement différente. Mais il est vrai que les Philippins ont un mot pour désigner leur couleur : kayumanggi. Cela veut dire mat ou basané. Et il faut savoir que le premier critère de beauté pour un Philippin est d’avoir la peau la plus claire possible. Les produits de beauté les plus recherchés par les femmes et les jeunes filles sont avant tout des produits « blanchissants ». Les produits pharmaceutiques destinés à traiter certains problèmes cutanés mais dont le principal effet secondaire est le blanchiment de la peau (hydroquinone tretinoin babyface) sont largement utilisés ainsi que les savons blanchissants (saboun whitener). Il y a un site japonais, « Japanese Candy », destiné aux Philippines (avec les prix en pesos) qui en fait un gros commerce. Un autre site, philippin, Bianca Naranjo, est réputé pour sa « extreme whitening lotion ». Je connais une jeune femme qui réside en France et qui a usé et abusé de tous ces produits et qui aujourd’hui a de très graves problèmes cutanés. L’eau du robinet de certains quartiers, comme Labangon à Cebu city, est réputée pour son pouvoir éclaircissant. Un taux de chlore ou de javel légèrement supérieur à la moyenne en fait une eau aux vertus aussi appréciées que s’il s’agissait d’une fontaine de jouvence et les femmes du quartier  se lavent abondamment pas seulement par un souci de propreté mais aussi dans l’espoir de s’éclaircir la peau. La réputation de cette eau s’étend bien au delà des frontières de la province. Dans les écoles, les majorettes ne sont sélectionnées que sur la couleur de leurs jambes. Il faut montrer patte blanche, c’est le cas de le dire. La plus belle de toutes qui a le malheur d’être un peu trop bronzée est irrémédiablement exclue et se voit obligée d’effectuer l’entraînement militaire à la place de l’entraînement du lancer de bâton. Il n’est évidemment pas question de s’exposer au soleil ne serait-ce qu’une minute. Il faut être puti. D’ailleurs ceux qui sont réellement très foncés sont appelés negros. Les Philippins racontent une histoire que l’on entend aussi en Ethiopie, à savoir que le Créateur a fait un premier essai de cuisson avec le premier homme. Il l’a laissé trop cuire et cela a donné la race noire. Pour son deuxième essai Il a retiré la pâte trop tôt et cela a donné la race blanche. Et enfin le troisième essai a donné la couleur des Philippins, cuits juste à point. Ceci dit, comme on peut le lire sur un site internet, les Philippins ne sont pas du tout racistes car c’est vrai qu’ils accueillent tous les americanos à bras ouverts. Le racisme s’exerce en fait à l’intérieur de la population philippine entre ceux qui ont la chance d’avoir la peau claire et ceux qui ont la malchance d’être un peu trop kayumanggi. C’est une forme de racisme contre sa propre race que l’on rencontre, hélas, dans de très nombreux pays du tiers-monde et notamment en Afrique où les jeunes filles très foncées sont appelées « gueules noires » par les garçons. Je l’ai constaté tous les jours durant la période où j’ai partagé la vie des habitants du bidonville de Dakar. Le fait d’accueillir sans problème les americanos n’est pas du tout une preuve d’absence de racisme. C’est simplement de la « xénophilie ». Et c’est ce qui permet, hélas, à certains occidentaux malintentionnés d’abuser sans vergogne les pauvres gens. La deuxième particularité physique à laquelle les Philippins attachent une importance primordiale concerne le nez. Il faut reconnaître que le nez petit et plat est une caractéristique de la race malaise, comme de quasiment toutes les races mongoloïdes à de très rares exceptions près. Et évidemment là encore le modèle européen  sert de référence. Celles et ceux qui ont la chance d’avoir un nez un peu plus long font des envieux. Cela devient quasiment une obsession chez les jeunes filles. Le rêve caché de chacune d’elles est d’avoir recours un jour à la chirurgie esthétique. Ma fille, qui est donc mestisa, a un petit nez que j’adore mais qui fait le grand désespoir de sa mère. En dehors de ces deux caractéristiques physiques connues de tous, il y en a d’autres plus intimes.  La « tache mongolique » qui est une petite tache bleuâtre située au bas de la colonne vertébrale est extrêmement fréquente. Encore une fois ma fille, qui est un  sujet d’observation très commode, avait cette tache  à la naissance bien qu’à peine perceptible. Curieusement cette tache mongolique se situe au dessus de la cheville chez mon fils. Par ailleurs le mamelon des femmes est de couleur marron foncé même si  la peau est claire. Encore une caractéristique facilement observable est l’écartement des orteils. Je pense que c’est aussi la conséquence de marcher pieds nus ou avec des tongs en plastique (sanilas), ce qui est d’ailleurs une excellente chose sous le climat tropical qui favorise la prolifération des champignons entre les doigts de pieds. Certaines personnes très âgées qui n’avaient même pas de tongs  durant leur jeunesse ont les orteils réellement « en éventail ». Personnellement je reconnais par ce biais les Philippins qui ont vécu dans les villages dans leur enfance de ceux de Manille ou Cebu qui ont eu des chaussures. Cela m’a toujours fait penser aux descriptions du monde des auteurs de l’Antiquité qui parlaient de pays où les hommes ont les pieds en forme de palmier. Je voudrais en terminer avec ce paragraphe en mentionnant une chose qui n’est pas absolument générale mais que j’ai pu observer assez souvent (pendant les longs voyages en jeepneys beaucoup d’enfants dorment sur les genoux de leur mère). C’est le fait de dormir avec les yeux mi-clos. Quelques-uns dorment même avec les yeux quasiment grand ouverts. Cette particularité est d’ailleurs censée apporter la chance sur la famille.

Gestuelle

Perception des odeurs

Tatouages

Circoncision

Barangay

Famille (kabanayan)

Clan (kaliwatan)

Adoption
Alliances

Pacte du sang

Sens du sacrifice

Matriarcat

Education des enfants

Pudeur

Explosion émotionnelle

Apparence

Mort

Nom

Politesse

Compañero

Perdre la face

Parler fort

Fatalisme


Anniversaire

Religion

Santo Niño

Jose Rizal

Fiesta

Jour de l’an

Mariage

Animisme

Médecine traditionnelle

Sorcellerie

Superstitions, tabous

Sport

Faune et flore

Maison

Nourriture

Mise à l’eau d’un bateau

Catastrophes naturelles

Evolution de la société bisaya
Après avoir donné un aperçu de ce que sont les traditions et la culture bisayas il serait bon de voir un peu la réalité sociale actuelle. Comme toutes les sociétés du monde la société bisaya est en proie à des transformations qui ne sont pas toujours des plus heureuses. Il y a cent cinquante ans, si l’on en croit les récits des voyageurs occidentaux, l’épouse bisaya prévenait son mari qu’on allait préparer le déjeuner. Le mari se rendait alors sur le rivage ou à la rivière avec une nasse (boubou) ou un harpon (pana) et il rapportait le poisson pour le repas quelques instants plus tard. Finalement, bien que ces gens étaient dépourvus de tout, ils ignoraient les affres de la faim.
Leur vie était assez facile d’un certain côté. Chacun mangeait à sa faim, la propriété privée du sol n’avait pas de sens pour eux. Il n’y avait ni barrières ni enclos autour des habitations. Le nombre d’habitants était faible. L’espace pour bâtir les maisons semblait illimité et les ressources de la mer inépuisables. Les familles étaient soudées, la délinquance et la drogue étaient inconnues,la tradition était respectée. La vie semblait couler comme un long fleuve tranquille malgré le dénuement. On pourrait facilement imaginer le bon sauvage de Rousseau si ce n’est que l’existence pouvait parfois être pénible car beaucoup d’enfants mouraient en bas âge et l’espérance de vie était bien courte. Il n’y avait pas de médecin ni d’école.
Mais cette vie en autarcie coupée du monde a vite évolué. Les colons espagnols se sont emparés d’immenses territoires sur lesquels ils ont planté de la canne à sucre. Les autochtones se sont prolétarisés en vendant leurs bras à ces propriétaires fonciers pour seulement ne pas mourir de faim. Des petits malins sont venus depuis Cebu pour « acheter » les terres. Au début du XXème siècle, l’arrière grand-père de mon épouse a échangé la parcelle qu’il possédait (environ un hectare) contre une pipe à tabac. Ces beaux messieurs de Cebu passaient dans les villages pour opérer ces transactions juteuses. Aujourd’hui leurs descendants sont de riches propriétaires. Cela montre combien la notion de propriété foncière était étrangère à la tradition bisaya, d’ailleurs le vocabulaire s’y rapportant est essentiellement emprunté à l’espagnol : la porte (puerta), la barrière (coral), fermé (cerrado)…
A ce moment là l’environnement était encore intact et la population était limitée. Aujourd’hui tout a bien changé. L’explosion démographique a entraîné un surpeuplement du pays. Depuis l’indépendance, la forêt primaire, qui recouvrait tout l’intérieur de l’île, a été presque totalement décimée en faisant la fortune de quelques uns. Depuis deux ou trois décennies l’exploitation des ressources halieutiques a connu une expansion inconsidérée. Aujourd’hui les poissons se font de plus en plus rares. Les requins ont quasiment disparu depuis déjà quelque temps. Il n’y a plus de crabes dans la plupart des marais côtiers. Il n’y a presque plus de poissons autour des blocs de corail pas plus que dans les rivières. On a utilisé de la dynamite et des explosifs de fabrication artisanale pour pêcher, ce qui a détruit les fonds coralliens. L’accroissement très important de la fabrication de parpaings (hollow blocks) avec le sable de la côte depuis une quinzaine d’années a carrément fait disparaître certaines plages. Il ne reste pratiquement plus d’espace libre pour construire de nouvelles maisons. Le prix des terrains en devient prohibitif, ils coûtent plus cher qu’en France. Même les terres agricoles sont plus onéreuses que chez-nous d’autant que n’importe quel terrain est considéré « constructible ». Beaucoup de femmes ont plus de six enfants (je connais une famille de douze enfants) qu’elles ne peuvent pas nourrir ni habiller correctement. Le travail fait cruellement défaut. Beaucoup de jeunes partent à Manille mais reviennent souvent après un ou deux ans de galère passés dans la capitale. L’incursion du monde moderne par la télévision et par les étrangers de passage a complètement bouleversé la façon d’appréhender la vie. Comme partout le fossé entre les riches et les pauvres s’est incroyablement creusé. La paupérisation de la population s’est accrue. Beaucoup d’enfants souffrent de malnutrition. Beaucoup d’enfants doivent quitter l’école très vite car les parents ne peuvent plus payer l’uniforme ou les chaussures (les tongs sont interdites) ou les fournitures. Curieusement les filles restent beaucoup plus longtemps à l’école que les garçons. En effet on considère que ce serait risqué pour leur vertu que d’aller travailler à l’extérieur de la maison alors que les garçons commencent parfois à dix ou onze ans à œuvrer sur les bateaux de pêche (sinsoros) ou dans les champs de canne. Ce sont eux qui contribuent donc à payer les études de leurs sœurs. Celles-ci se trouvent alors trop instruites pour épouser un simple pêcheur et elles ne rêvent que d’épouser un americano. Celles qui parviennent à poursuivre leurs études à un niveau supérieur et qui doivent donc aller à Cebu pour ce faire reviennent au village la plupart du temps avec un bébé dans le ventre si elles n’ont pas réussi à avorter (il existe des méthodes d’avortement traditionnelles). Le résultat n’est donc pas meilleur que si elles avaient abandonné les études plus tôt.
Tout cela est le résultat de la mondialisation des valeurs occidentales ou plutôt de l’abandon des valeurs traditionnelles, comme en occident. Autrement dit, la situation sociale qui règne actuellement au sein de la société bisaya n’est pas très satisfaisante et l’évolution que j’observe chaque année ne me pousse guère à l’optimisme. Je dirais même que, globalement, la situation se dégrade inexorablement. Depuis un an le prix du coprah a chuté à trois pesos pour un kilo, ce qui est honteusement bas alors que le prix du riz a fortement augmenté. Depuis cette année également la quantité de poissons pêchée a baissé de façon alarmante. Pour beaucoup de gens le seul espoir est de marier leurs filles à un occidental en espérant qu’il soit fortuné. Je dis toujours en plaisantant que la principale production de Leyte sont les Pilipinos tant le nombre d’enfants est impressionnant mais que la principale marchandise à l’exportation sont les Pilipinas tant le nombre de filles qui épousent un étranger est tout aussi impressionnant. Inutile de préciser que toutes ne tirent pas le bon numéro. Un certain nombre de ces maris ne veulent pas d’enfant, ce qui est à l’opposé des valeurs philippines. Le défilé d’Anglais du troisième âge, d’Allemands gros fumeurs et grands buveurs de bière, d’Italiens difformes, de Japonais patibulaires, de Français manchots, d’Australiens tatoués et d’Américains obèses qui circulent dans les rues d’Ormoc avec le short (les Philippins ne portent jamais de short en ville) et les grosses chaussures (ils ne supportent pas les tongs en plastique) tenant par la main une jeune philippine rougissante (c’est une honte de tenir son mari par la main en public) offre un tableau des plus affligeants. En fait, ils ont l’air parfaitement ridicules mais n’en ont pas la moindre conscience. J’ai servi de traducteur à de nombreuses filles qui recevaient des lettres en français de penpals français ou belges.
Il y aurait de quoi écrire un très gros volume sur les élucubrations et toutes les histoires de ces milliers d’occidentaux à la recherche d’une compagne aux Philippines. J’ai voyagé une fois à côté d’un individu possédant un vrai faux passeport portugais mais qui était manifestement marocain musulman (il refusait le porc et l’alcool dans l’avion et lisait un journal en espagnol) qui a épousé une Philippine catholique. Celle-ci est persuadée que son mari est réellement portugais et catholique. Lui, travaille à Paris et rend visite à sa femme et à sa fille restées à Luzon, une fois par an (peut-être même a-t-il une autre épouse à Paris ?). C’est surprenant mais il y a pas mal de musulmans qui cherchent à épouser des Philippines catholiques. J’ai pu lire plusieurs lettres de correspondants résidant en France ou dans un pays musulman. Connaissant le choc culturel existant déjà entre les Philippines catholiques et les occidentaux chrétiens je n’ose imaginer ce qui se passe avec les maris musulmans. Il y a aussi un certain nombre d’israélites en occident et même en Israël qui épousent des Pinays catholiques.
A quelques kilomètres du village où j’ai vécu, un Suisse s’est installé au bord de la mer. Sa femme est jeune mais curieusement ils ont adopté un bébé au lieu d’en faire un. Cet homme était totalement coupé de la population et était très heureux de pouvoir faire travailler les Philippins pour cinquante pesos par jour, c’est à dire pour un salaire réellement de misère. Son resort, entouré d’un haut mur, était gardé par un gros chien berger allemand. Quelques années après son installation, des malfaiteurs ont pris d’assaut son camp retranché pour les dévaliser. Le Suisse a été tué dans l’attaque mais pas sa compagne philippine. Mon épouse, qui est beaucoup moins naïve que moi en ce qui concerne la réalité sociale de son pays, est persuadée que c’est la femme qui aurait commandité l’attaque de son propre resort et l’assassinat de son mari. Je crois, hélas, qu’elle a raison.
Plus récemment, à Albuera, un mari japonais a été assassiné par son beau-frère philippin. Ce Japonais avait épousé une fille japayuki (des milliers de jeunes philippines sont enrôlées au Japon comme entraîneuses dans les clubs où elles sont presque toujours contraintes à la prostitution ; on les appelle japayukis). En fait ce Japonais s’était installé aux Philippines pour fuir la justice de son pays. Etant membre des yakusas il était riche et a investi pas mal d’argent à Leyte. Il frappait sa femme et ce serait la raison pour laquelle le frère de celle-ci l’a tué (sûrement à la demande de sa sœur). Le meurtrier n’est resté qu’une semaine en prison pour ce meurtre car personne n’a porté plainte.
Dieu merci tous les étrangers épousant une Philippine ne sont pas assassinés mais ces deux petits exemples récents montrent que la grande majorité de ces unions ne se font pas sur des bases saines. L’année dernière une fille de dix-huit ans a été mariée de force à un sexagénaire italien. Elle ne voulait pas, elle a beaucoup pleuré lors du mariage mais elle a dû accepter, contrainte par sa sœur aînée qui est déjà mariée en Italie, qui avait une dette envers cet homme et qui a fait le chantage de ne plus aider les parents si elle refusait d’épouser cet homme. Ce qui est significatif, c’est que, quelques jours avant son mariage forcé, cette jeune fille s’est empressée de perdre sa virginité avec un jeune du village. C’est une réaction assez courante chez les jeunes filles qui vont épouser un americano. Il existe un fantasme répandu concernant la taille du pénis des occidentaux qui serait disproportionnée. Beaucoup de jeunes filles ont peur de se faire déflorer par ce mari venu d’ailleurs et il est fréquent qu’elles passent à l’acte avec un jeune philippin avant de convoler. En fait, c’est triste à dire mais, malgré cette peur du sexe, l’immense majorité des filles sont prêtes à épouser le premier venu, tout comme beaucoup d’occidentaux sont prêts aussi à épouser la première venue. Je connais une jeune fille qui avait beaucoup d’amoureux dans le village. Les mauvaises langues prétendent qu’elle serait allée accoucher d’un bébé chez une tante dans un endroit éloigné à l’autre bout de la province. Elle a épousé un Anglais qui est persuadé d’avoir convolé avec une jeune vierge effarouchée. En fait la « tromperie sur la marchandise » existe des deux côtés. On pourrait très justement me faire remarquer que je suis peut-être mal placé pour porter un jugement sur ces unions ayant moi-même connu mon épouse par correspondance. Je dirai simplement que je faisais partie des cinquante quatre occidentaux à avoir répondu à son annonce et que j’étais certainement le plus pauvre et sûrement pas le plus beau ni le plus jeune mais que j’étais le seul, parmi tous ces prétendants (j’ai pu lire toutes les lettres), à avoir écrit que la vie en occident était aussi parfois très difficile et à avoir clairement exprimé ma volonté de fonder une famille qu’à la condition expresse qu’un sentiment d’amour réciproque ait pu éclore entre nous auparavant. Finalement j’ai été l’élu de son cœur et je l’ai épousée, pour le meilleur et pour le pire …
Cette situation dans la région change profondément les données sociales puisqu’il suffit souvent d’épouser un occidental pour que la famille sorte de la grande pauvreté. Et cela produit de grosses jalousies chez ceux qui n’ont pas eu cette chance. Il faut dire aussi qu’un certain nombre de ces pinays ayant réussi à épouser un americano se conduisent ensuite comme d’affreuses parvenues quand elles reviennent au village pour exhiber leurs bijoux en oubliant les cousins restés dans la misère. Cela aboutit également à une pénurie de filles à marier, ce qui crée forcément de grandes difficultés pour les garçons qui veulent fonder une famille. A côté de ce problème de la fuite des filles pour l’étranger, l’abandon des valeurs morales traditionnelles fait d’autres ravages. Il y a de plus en plus de naissances hors mariage. L’âge légal pour se marier est de dix-huit ans pour les filles, aussi toutes celles qui vivent en concubinage et sont déjà mères avant cet âge ne peuvent pas régulariser leur situation. Les années passent et elles vivent donc maritalement. De temps en temps le curé de la paroisse fait une « descente » dans les villages pour remettre ses ouailles dans le droit chemin et organise des mariages collectifs quelque peu contraints et forcés.
Un certain nombre d’hommes partent travailler dans la capitale en laissant femme et enfants au village. Cette situation engendre parfois des aventures extra conjugales qui contribuent à la désintégration des familles. Bref, on peut dire que la grande pauvreté, qui accable la grosse majorité de la population, alliée à l’abandon progressif des valeurs morales traditionnelles, aboutit à une société pleine de malheurs et de souffrances. La vie de la plupart des familles bisayas est aujourd’hui extrêmement difficile. Beaucoup de gens meurent dans la force de l’âge parce qu’ils ne peuvent pas acheter de médicaments ni payer l’hôpital. Je connais un bébé décédé parce que sa mère a fait appel au tambalan ne pouvant trouver les deux euros nécessaires pour payer le médecin. La lutte journalière pour simplement ne pas mourir de faim est permanente. Beaucoup de familles sont obligées de s’endetter pour acheter le riz quotidien. Le taux d’intérêt le plus souvent pratiqué est de 10 % par mois. Beaucoup ne peuvent pas rembourser et perdent leur propriété. Depuis l’année dernière un système de prêts à taux faible permettant de créer une micro-activité économique a permis à quelques foyers de démarrer un petit élevage porcin, mais cela ne peut pas résoudre le grave problème de la dégradation de l’environnement, de l’épuisement des ressources marines, de l’accroissement démographique exponentiel, de l’impossibilité pour beaucoup de se soigner, de l’abandon des études précocement, de l’endettement pour pouvoir manger, de la délinquance, de la violence qui va jusqu’au meurtre, de l’alcoolisme, de la drogue, etc, etc…
La grande pauvreté entraîne même de plus en plus de brouilles au sein des familles entre frères et sœurs, ce qui est dramatique.
L’étude ethnographique de la société bisaya ne doit pas nous faire occulter la réalité sociale actuelle. C’est très important de connaître et de comprendre la tradition mais c’est tout aussi important de comprendre la réalité de tous les jours que vivent les gens.
J’espère que ces quelques pages vous auront permis d’avoir une vision un peu plus complète et un peu plus juste de la culture et de la société bisayas et qu’elles vous donneront envie de découvrir encore plus le peuple philippin pour lequel j’ai la plus grande affection, considérant les Philippines comme ma seconde patrie.

Jean-Michel HERMANS La Petite Clie 17400 Saint-Julien de l’Escap. mars 2001

Addenda:    En septembre 2001 le gouvernement provincial a totalement interdit la pêche dans la mer de Camotes jetant ainsi dans la misère des dizaines de familles.

Addenda mai 2003 :  Le gouvernement vient de lancer un programme d’aide de lutte contre la pauvreté. Il prête une certaine somme à chaque barangay que les habitants doivent gérer par le biais d’une association. Dans le village c’est ma belle-mère qui est la trésorière de cette association. L’objectif est de monter un élevage de crabes. Pour cela il fallait un terrain propice. Grâce à Dieu nous avons un grand espace de nipa derrière notre plage et nous le prêtons donc pour ce projet. Vu la surpopulation ambiante cela ne va pas bouleverser l’économie locale mais permettra à quelques familles misérables d’avoir un peu plus pour assumer les besoins familiaux.Tant que le pays n’appliquera pas la politique de l’enfant unique telle qu’elle est instituée en Chine l’accroissement de la population dépassera celui des richesses et la pauvreté ne pourra pas disparaître.

Addenda sept 2004 :  Depuis quelques jours les rebelles de la NPA descendent au village la nuit. Ils frappent aux portes pour demander de la nourriture ou de l’argent. Ils ont tué trois policiers d’une balle dans la tête.                                  

                                         Le texte complet (143 pages) a été publié en novembre 2013 chez EDILIVRE, avec un Guide pour les expatriés, la présentation et les coordonnées des 46 ONG françaises opérant aux Philippines, des conseils pour la visite touristique du pays et un lexique français-cebuano.     

http://www.edilivre.com/librairie/decouverte-de-la-culture-philippine-jean-michel-hermans.html

                                             Pour ceux qui veulent découvrir la culture philippine

                                             Jean-Michel Hermans leur propose de  venir chez lui :

                                                Bisayan dream resort  (ouverture en janvier 2014)

                                                           Kayag ang beach. Albuera. Leyte

                                                           Hermans – Delalamon family 

             

Chambres d’hôte dans une grande maison sur la plage ou dans un bungalow en bambou et nipa

                                                   Ethno tourisme,  Ecotourisme, Tourisme solidaire

                                                        Day trips,  mountain and sea

                                 7 excursions découverte de la nature philippine proposées chaque semaine :

     1) Remontée de la rivière Basey en banca, arche naturelle, grotte, kayak

    2) Lac Danao dans la montagne de Leyte, randonnée (tour du lac),  déjeuner sur un radeau, pirogue, baignade, coquillages

     3) Iles Camotes, banca, randonnée (villages), plage, snorkelling (immense banc de corail)              

     4) Ginsuhotan, randonnée (à pieds ou à moto à travers bois), rivière souterraine, cascade, baignade

    5)Cuatro islands  volcan, coraux, plage, snorkelling                                                                                                         

     6)   Sogod bay, rencontre avec les requins baleines

     7)   Hanginan et Limasawa     

   

 On n’est pas obligé de faire toutes les excursions  et les randonnées sont facultatives évidemment                                

         

                         

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