Projet d’un centre de vie pour enfants

PROJET D’UN CENTRE DE VIE POUR ENFANTS ABANDONNÉS OU PROSTITUÉS DE CEBU CITY

présenté par Jean-Michel HERMANS   1995

CEBU City est la deuxième ville des Philippines. C’est une métropole en pleine expansion économique et démographique. On parle à son égard de Ceboom car le taux de croissance économique est le plus fort des Philippines. Un Hollandais vient de publier un petit opuscule la décrivant comme le paradis des investisseurs grâce à son environnement exceptionnel. Elle attire de nombreux occidentaux qui rêvent de vivre sous les tropiques. Elle attire aussi forcément un nombre toujours gran­dissant de philippins fuyant la misère des campagnes et espérant y trouver un travail et une vie meilleure. Hélas, comme partout ailleurs, tous ne trouvent pas la situation qu’ils espéraient. Un nombre incroyable de gens vivent dans des baraques insalubres et survivent grâce à des petits boulots ou à un petit commerce qui permet tout juste de ne pas mourir de faim.

I – Enfants abandonnés:
Chaque fois que je m’y rends je vois des enfants manifestement abandonnés qui survi­vent dans la rue. La dernière fois, je suis tombé sur un groupe de cinq jeunes garçons d’une dizaine d’années qui récu­péraient les canettes vides de coca cola. Trois avaient un short mais pas de T-shirt, les deux autres avaient un T-shirt, heu­reusement un peu long, mais manifestement n’avaient rien en dessous !

La misère associée à l’éclatement des familles, fait que l’on voit de plus en plus de femmes seules vivant dans la rue avec de jeunes enfants ainsi, encore et toujours, que des enfants des rues. Le maire de Cebu, M. Osmena (descendant d’une des plus grandes familles de notables philippins) a déclaré que les enfants des rues étaient la rançon du progrès écono­mique. Parallèlement Cebu abrite également certaines des plus riches familles du pays dont un grand nombre de Chinois.

II y a une ONG philippine très dynamique, la Bidlisiw Foundation, dirigée par une femme très compétente, Madame Majadillas. Il y a également le DSWD (Department of Social Welfare Development) qui possède un drop-in center et deux foyers d’accueil, soit en tout 150 places. Il en faudrait 10 fois plus. Le DSWD n’a pas de budget suffisant pour faire face à la situation. Aucune ONG étrangère ne travaille actuellement à Cebu.

Sur l’île de LEYTE, juste en face, (où je réside), la situation est légèrement différente. Leyte a toujours été l’une des pro­vinces les plus pauvres du pays. Actuellement son PNB a augmenté grâce à une seule usine de phosphate, à Isabel, qui est absolument colossale. Mais cela ne concerne qu’une toute petite région de l’île, ailleurs c’est l’économie traditionnelle qui prédomine. Tout autour d’Ormoc ce sont des dizaines de milliers d’hectares de canne à sucre que se partagent cinq familles de planteurs. Les milliers de familles qui travaillent sur ces terres perçoivent des salaires de misère et les enfants sont nombreux à couper la canne. En dehors de cette zone de plaine autour d’Ormoc, la montagne domine, presque tota­lement inhabitée si ce n’est par quelques rebelles de la NPA (New People Army). Entre la montagne et la mer, les rizières se disputent le peu de place restant avec les habitations toujours plus nombreuses vu l’accroissement de la population. Je dis toujours en plaisantant que la principale production de Leyte sont les Pilipinos car le nombre d’enfants y est impres­sionnant et que la principale exportation sont les Pilipinas car le nombre d’occidentaux qui y débarquent chaque semaine pour y prendre épouse est tout aussi impressionnant. Comme dans toutes les Philippines, le nombre de familles vivant en dessous du seuil de pauvreté est très largement majoritaire.

Dans l’ouest de l’île, la grande ville est Ormoc, qui est aussi en plein développement. On y voit quelques enfants aban­donnés et même parfois des femmes à la rue avec un bébé ou de jeunes enfants. Dans l’est de l’île se trouve la capitale provinciale Tacloban, fief de l’ancienne très célèbre First Lady, Imelda Marcos qui vient de s’y faire élire congresswoman, l’équivalent de nos députés. Là encore on peut voir un certain nombre d’enfants des rues. Le DSWD local fait son pos­sible mais là aussi il n’y a pas de centre d’accueil pour héberger les enfants sans famille.

II – Travail des enfants
Dans la région le nombre d’enfants au travail est relativement important, en tous cas trop important. A Ormoc, depuis la mise en service de vedettes rapides assurant cinq liaisons quotidiennes avec Cebu City, cela il y a un an, on voit de plus en plus de jeunes garçons essayant de porter les bagages des passagers à la descente du bateau. Il y a déjà une nuée de porteurs officiels dont c’est le seul moyen de subsistance et on assiste donc à une rivalité entre les porteurs qui ont besoin de travailler et ces enfants dont très peu sont réellement abandonnés.

Mais la principale source d’emploi des enfants est fournie par la canne à sucre. Dans les petits villages au milieu des champs, les ressources sont maigres et beaucoup de jeunes garçons travaillent avec leur père à couper la canne.

Une des activités dominantes de Leyte est la pêche. Là encore on peut voir un certain nombre de jeunes garçons sur les bateaux, dès l’âge de dix ans. Ils proviennent des villages très pauvres de Leyte mais aussi des îles Camotes qui sont très proches mais rattachées à la province de Cebu.

Dans ces trois îles que je connais assez bien et où mon épouse a plusieurs parents dans différents villages, la situation est très difficile. Je connais une famille où souvent on ne peut pas manger de riz, ce qui est le comble de la pauvreté aux Philippines. Les moulins en pierre pour écraser le maïs ne sont pas rares, le maïs étant moins cher que le riz (Ils sont totalement inconnus à Leyte). Mais parfois les gens se contentent de racines de balangoy (manioc), seul végétal pouvant pousser sur les terres pauvres de ces îles.

Dernièrement des cousins sont allés au mariage d’une cousine sur l’île de Ponson. Ils sont revenus très déçus car, en fait, on n’avait pu tuer que deux cochons, ce qui est totalement insuffisant pour tous les invités. Et ce n’est pas pos­sible de se marier sans inviter la famille, et ici, la famille c’est très vite une centaine de personnes. Je vous laisse ima­giner l’ambiance du mariage avec les assiettes à moitié vides…

Je connais aussi une famille avec laquelle nous sommes apparentés par alliance. La mère de famille est venue emprunter 10 kgs de riz à ma belle-mère. L’une des filles est partie travailler à Manille. Elle est revenue enceinte, ce qui va faire une bouche de plus à nourrir. Le père possède une minuscule pirogue pour pêcher, mais les poissons sont rares. Dernièrement la mère est venue supplier ma belle-mère de prendre la fille de 15 ans comme bonne. Ma belle-mère ne voulait pas car nous ne sommes pas une famille riche. Mais cette jeune fille est quand même restée avec nous. Etant donnée son enfance à Camotes dans une petite maison en bambou, sans électricité, sans aller à l’école et en ne mangeant quasiment rien, elle a le physique et le mental d’une fille de 12 ans. Elle travaillait de 5h30 à 20h sans arrêter. Au début si elle n’avait pas de travail, elle pleurait. J’avais beau lui dire de se reposer et de ne pas rebalayer 10 fois la maison, c’était impossible de l’arrêter. Elle est finalement repartie chez elle car elle s’ennuyait de sa mère et de sa petite sœur.

C’est l’exemple type d’une enfant qui aurait besoin d’un parrainage afin d’aller un peu à l’école. Et je pense qu’aux îles Camotes les familles dans la même situation ne sont pas rares. C’est pourquoi beaucoup de jeunes garçons ori­ginaires de ces îles travaillent sur les bateaux de pêche de Leyte dont un certain nombre de propriétaires sont égale­ment originaires des Camotes. J’ai même vu un cas très étonnant en passant dans un minuscule village de l’île de Ponson, lors d’une randonnée pédestre. Il y avait là de jeunes enfants qui, selon leurs dires, vivaient seuls dans une maison, sans parents ni famille. Hélas je n’ai pas pu avoir plus de renseignements, mais j’envisage d’y retourner un jour.

A Leyte, je connais aussi une famille qui vit dans un village au pied de la montagne à deux kilomètres des villages de pêcheurs. Là les ressources sont rares. Les hommes vont parfois abattre des arbres clandestinement (car c’est inter­dit) très loin dans la montagne, s’ils en ont la commande. C’est un travail de forçat car il n’y a pas de route et tout est rapporté à dos d’homme. Dans ce village, à deux kilomètres de chez moi, tous les jours, de très jeunes enfants (les plus jeunes ont 6 ou 7 ans) vont couper des branchages et des tiges mortes de cocotiers et les transportent sur la tête jus­qu’au village où j’habite afin de les vendre pour la cuisine. Les charges qu’ils portent sur la tête sont ahurissantes. J’ai déjà essayé d’en soulever et je peux vous dire que j’ai eu du mal à le faire. Ces enfants ne sont jamais allés à l’école. Ils sont d’une grande timidité et je les sens très complexés vis-à-vis des autres enfants.

III – Cas particuliers des Négritos

A Leyte, comme dans la plupart des îles philippines, vit une minorité de Négritos. Ce sont les premiers habitants du pays. Tout comme dans les autres pays de la région ils ont quasiment disparu, suite à des siècles, pour ne pas dire des millénaires, de conflits avec les nouveaux arrivants, plus développés matériellement. Depuis plusieurs siècles ils se retrouvent refoulés là où les autres habitants ne voulaient pas, ou ne pouvaient pas vivre. A Leyte, ils sont donc, comme ailleurs, au cœur des zones montagneuses les plus reculées. Or, il y a un village à 20 kms d’Ormoc où 28 familles négritos se sont regroupées. Ils survivent en cultivant des légumes. Les enfants ne sont pas scolarisés. Le gouvernement les a aidés un peu en fournissant des matériaux de construction. Ils sont très marginalisés. Aux Philippines comme dans tous les pays du monde (y compris et surtout en Afrique) il vaut mieux avoir la peau claire. C’est d’ailleurs considéré comme le premier critère de beauté pour une jeune fille. Evidemment, de ce point de vue, les Négritos ne sont pas très gâtés.

Il y a certainement un travail à faire pour aider cette population. Il faudrait surtout, avant toute chose, pouvoir scolariser les enfants. Ce village est non seulement difficile d’accès (il n’y a qu’un seul jeepney par jour) mais aussi il est dans une zone où se trouvent encore des rebelles. C’est même dans ce village, qui s’appelle Ga-as, que s’est produite la plus importante bataille entre les forces gouvernementales et les rebelles, en 1988, sous la présidence de Cory Aquiño qui, n’ayant pas compris la leçon du Viet-Nam, s’imaginait pouvoir en finir avec la rébellion par la force. Il faut dire que son grand conseiller était Ronald Reagan. Aujourd’hui, le président Ramos prône l’amnistie pour les rebelles et leur réinté­gration dans la société. C’est effectivement la seule solution envisageable

IV – Problèmes engendrés par la pauvreté

– Malnutrition :

A Leyte existe un problème de malnutrition. Ce sont forcément les enfants qui en souffrent le plus car ils sont atteints dans leur développement tant physique que mental. Là encore, vivant totalement intégré au sein du village, je connais des cas particuliers mais qui doivent être évidemment courants dans tous les villages. J’ai une petite nièce de trois ans profondément handicapée. Un côté du cerveau ne s’est pas développé, si bien qu’elle a de grandes difficultés à faire fonctionner ses membres du côté droit. Par conséquent elle marche en boitant. Et elle ne parte toujours pas. Le pédiatre m’a dit que cela était dû à la malnutrition. Elle a été nourrie au sein, mais la mère ne mangeant pas correctement et buvant occasionnellement du vin de palme, son lait n’était pas très bon. Il lui faudrait du lait en poudre spécial qui est hors de prix et que même moi, à mon grand regret, je suis totalement incapable d’acheter chaque mois comme il le fau­drait.

– Santé :

Un autre grave problème est l’incapacité de beaucoup de gens à se soigner. Là encore, un petit neveu de 3 ans est décé­dé il y a deux ans car sa mère n’avait pas l’argent (15 F) pour consulter le médecin. Elle a fait appel au chaman du vil­lage. Le petit garçon est mort. Inutile de préciser que je n’ai été mis au courant qu’après le décès. Quand je sais qu’un membre de ma nombreuse famille (environ 60 personnes) est malade, je paie la consultation sans que l’on ait besoin de me le demander, mais dans le cas présent, l’enfant vivait dans une maison un peu éloignée (100 m, mais cela suffit pour être un autre quartier) et les parents n’ont jamais osé me demander de l’aide. Les Philippins sont fiers. Ils n’empruntent que pour les cas désespérés comme une opération chirurgicale ou une grave maladie. Dans le cas présent le bébé avait beaucoup de fièvre et c’est vrai que souvent ça se passe tout seul.

Je connais aussi un homme de 40 ans décédé il y a quelques mois, il était diabétique et cela lui était totalement impos­sible d’acheter des médicaments.

Dans les cas urgents si l’on n’a pas de famille à qui emprunter, il faut avoir recours aux prêteurs sur gage. C’est l’activi­té la plus prospère aux Philippines. Il y a des dizaines d’officines de prêts sur gage dans toutes les villes. Le taux est de 7%… par mois. A Cebu, un suédois vient de monter une société de prêts sur gage, c’est un bel exemple d’investissement étranger destiné à développer l’économie… Mais il y a aussi des gens qui ont les moyens qui prêtent également à des voisins, à 10 % par mois. Inutile de dire que les remboursements sont difficiles à effectuer.

Chômage :

Un autre très grave problème à Leyte est le manque chronique de travail. Dans chaque famille il n’y a souvent qu’une seule personne qui travaille. C’est parfois le père, parfois un fils. J’ai des cousins chez qui c’est la grand mère qui entre­tient son fils, sa bru, ses petits enfants et même parfois la petite sœur  de la bru car dans sa famille, aux îles Camotes, c’est encore pire.

Beaucoup de gens partent pour Manille, souvent ils reviennent au village après un an ou deux de galère dans la capita­le. Pour les filles, beaucoup vont s’engager comme bonne à tout faire chez des riches familles de Manille. Or dans ces familles, tout comme dans les riches familles françaises des siècles passés, le droit de cuissage du chef de famille sur ses jeunes employées, est encore monnaie courante. Et c’est vrai que le nombre de jeunes filles rentrant chez elle engrossées par leur patron est relativement important.

D’ailleurs aux Philippines des cas d’esclavage subsistent encore actuellement. Des petites filles sont placées ou prêtées pour rembourser une dette et elles travaillent du matin au soir sans aucun salaire. Il y a même des cas d’enlèvements de petites filles à des fins d’esclavage à Mindanao.

Scolarisation :

Mais en règle générale le travail des enfants touche beaucoup plus les garçons que les filles. Il y a toujours plus de filles que de garçons dans les écoles primaires et la différence s’accroît très fortement dans le secondaire. C’est un problème très sérieux car les garçons ont beaucoup de mal à se marier, les filles se croyant supérieures puisqu’elles sont allées au collège et elles préfèrent épouser un étranger, quelque soit son âge. Elles sont persuadées qu’ainsi elles auront une vie meilleure et que surtout elles pourront aider leur famille. Je connais une femme qui est très contente d’avoir quatre filles car elle compte bien sur elles pour sa retraite en les mariant à des occidentaux. Cet état d’esprit ne favorise pas le planning familial.

Un autre problème propre aux Philippines est l’obligation de fournir un certificat de baptême pour l’inscription dans les écoles, tant publiques que privées. La séparation de l’Eglise et de l’Etat n’est pas effective aux Philippines. Il y a des cours de catéchisme dans les écoles publiques. Le mariage religieux fait office de mariage légal. Le divorce est interdit ainsi que l’avortement (qui se pratique très fréquemment dans la clandestinité).

Le problème est que, bien que les habitants de Leyte soient catholiques à 90 %, les prêtres refusent le baptême si les parents n’ont pas été mariés à l’église. Or les cas de concubinage ne sont pas rares. Toutes les jeunes filles qui accou­chent avant 18 ans ne peuvent pas se marier car l’âge requis est de 18 ans. La plupart vivent donc maritalement et fon­dent une famille en oubliant de régulariser la situation. Les enfants ne peuvent être baptisés. Heureusement parfois le curé fait une «descente» dans les villages et ordonne à tous ceux vivant dans cette situation de venir se marier. L’année dernière en un seul coup il a marié 15 couples. Grâce à ces mariages collectifs, quelque peu forcés, les enfants peuvent ensuite être baptisés et par voie de conséquence être scolarisés. Mais pour les nombreux couples vivant en concubina­ge mais étant déjà mariés par ailleurs (et non divorcés puisque le divorce est interdit) les enfants ne peuvent être bapti­sés et, donc, scolarisés.

V – Prostitution enfantine

A Leyte : L’Ile de Leyte est à l’écart des circuits touristiques. Elle ne possède pas de plage à la mode. Grâce à quoi elle a été épargnée par le tourisme sexuel à grande échelle qui sévit dans d’autres régions. Toutefois en 1994 le hasard a voulu que je sois témoin par deux fois d’un événement qui m’a mis la puce à l’oreille quant à l’existence d’un réseau pédo­phile à Ormoc. D’après ce que j’ai vu, j’ai compris que des individus sans foi ni loi avaient fait d’Ormoc une petite annexe de Cebu pour la prostitution enfantine. C’est la mise en service des liaisons rapides entre Cebu et Ormoc qui aurait faci­lité ce trafic. J’ai observé à plusieurs reprises le philippin que je soupçonne d’être proxénète, attendre l’arrivée de la vedet­te rapide en provenance de Cebu. Il faut dire qu’à Mactan, l’île qui côtoie Cebu city, se trouvent l’aéroport international et de très grands hôtels (Shangrila, etc…) où débarquent des centaines de japonais chaque semaine. J’ai cru comprendre que parmi ces touristes se glissent des pédophiles et qu’ils étaient dirigés sur Ormoc où les attendait le proxénète. La première fois je l’ai vu venir chercher à l’hôtel un japonais et partir avec lui en compagnie d’une petite fille de 10 ans. Je l’ai vu revenir 15 minutes plus tard dans le hall de l’hôtel, sans la petite fille. Là le japonais a payé le proxénète. Le réceptionniste de l’hôtel étant intervenu pour aider à calculer le tarif en dollars grâce à sa calculette, j’ai bien compris qu’il était impliqué dans le trafic. Je me trouvais à ce moment là dans le hall de l’hôtel tout à fait par hasard. Une autre fois, j’ai encore vu un autre japonais en compagnie d’une adolescente de 12-13 ans venir changer ses yens à la banque. Après mûre réflexion, ne sachant pas trop que faire, j’ai écrit au maire d’Ormoc et au chef de la police en les menaçant de prévenir les médias. Le lendemain il y avait un garde armé devant la porte de l’hôtel qui servait de lieu de rendez-vous. Le maire d’Ormoc, Mr Godilla, veut défendre l’image d’une ville propre et il n’a aucun intérêt à laisser se dévelop­per un réseau pédophile dans sa commune. Apparemment ce trafic (que l’on pourrait qualifier d’artisanal) a été stoppé. Dominique Lemay m’a appris que par contre, parmi les petites filles prostituées à Manille, un bon nombre provenait de Leyte, recrutées par des rabatteurs sans scrupules qui promettent aux parents de les faire travailler comme employées de maison.

Seule une action de parrainage peut mettre fin à ce trafic horrible.

A Cebu : Cebu est un centre touristique, notamment grâce à ses hôtels et ses plages de Mactan. C’est aussi un centre d’affaires très important. On y trouve des bars de nuit avec gogo-girls, dont certains tenus par des étrangers (encore un exemple d’investissement étranger lucratif mais pas très profitable à la population). Avec le nombre important d’enfants à la rue, tous les éléments propices à la prostitution enfantine sont réunis. Dieu merci, cela n’atteint pas les proportions de Manille, Olangapo ou Angeles, mais cela existe. C’est aussi une des raisons de la nécessité de créer un centre d’accueil pour les enfants et adolescents à la rue, afin de pouvoir offrir un toit et un lieu de vie à de jeunes prostituées dont le rêve est d’avoir une vie normale et d’aller à l’école comme les autres filles de leur âge.

PROJET D’UN CENTRE DE VIE DANS L’ILE DE LEYTE

   J’ai beau être né à la ville je considère que c’est par accident. L’homme n’est pas fait pour vivre dans des métropoles gigantesques où se concentrent toutes les nuisances et toutes les tares de la société. Ceci est valable autant pour la France que pour les pays en voie de développement. L’exode rural qui peut aller, comme en France, jusqu’à la transfor­mation des campagnes en désert, est une fausse solution au sous-développement. En vidant les campagnes de ses habitants et en les entassant par millions dans des villes chaque jour de plus en plus démesurées, on engendre une mul­titude de problèmes sociaux. Les valeurs morales et spirituelles traditionnelles qui sont le ciment de la famille, et par conséquent de la société peu à peu s’effritent engendrant séparations et divorces, et toutes les sortes de situations dra­matiques en découlant. Ainsi sont apparus les phénomènes des enfants des rues, de la prostitution enfantine, de la drogue, de la délinquance et des abus sexuels au sein des familles désunies. Tous ces problèmes négatifs sont quasi­ment inconnus dans les villages où les structures familiales sont plus solides, y compris les structures des familles éten­dues incluant les oncles et les cousins.

Quant à l’environnement tout court si l’on peut dire, personne n’ose mettre en doute le fait qu’il est beaucoup plus sain à la campagne. On peut s’épanouir mieux et surtout se sentir beaucoup mieux au milieu des arbres, des animaux, des rivières plutôt qu’au milieu du béton et des rivières transformées en égouts à ciel ouvert, comme à Manille.

C’est pourquoi je pense que pour créer un centre de vie pour les enfants abandonnés de la grande ville de Cebu city, l’île de Leyte serait beaucoup plus appropriée.

Entre Cebu et Leyte il y a 5 navettes rapides par jour, mais un peu onéreuses (40 F), mais il y a aussi un ferry quotidien pour un prix très modique (environ 16 F). Toutes les facilités de communication existent donc. C’est très facile d’amener les enfants à Leyte et tout aussi facile de les ramener à Cebu si cela s’avère nécessaire (retrouvailles familiales par exemple).

La toute petite ville (gros village tranquille) d’Albuera et les villages des environs, où je réside, me semblent tout à fait convenir pour l’implantation d’un tel centre.

Les terrains coûtent dix fois moins chers qu’à Cebu. Toutes les structures nécessaires y existent : écoles primaires et secondaires, centre de santé, bureau du DSWD (Department of Social Welfare Development), poste, médecin. Depuis peu c’est même possible d’y avoir le téléphone grâce à une antenne-relais qui vient d’être construite.

Ormoc, la grande ville, est à 16 kms. Il y a des cars et des jeepneys toute la journée. Là se trouvent un grand marché et tous les magasins nécessaires à la vie courante, ainsi qu’un hôpital et tout ce qu’une grande ville peut offrir d’utile.

Madame Majadillas (directrice de la Bidlisiw Foundation de Cebu) est de mon avis. Les enfants abandonnés seraient mieux à la campagne, à Leyte, plutôt qu’au milieu du trafic infernal et de la pollution qui caractérisent Cebu (tout comme Manille).

A Albuera, il n’y a pas de drogue ni de prostitution, pas plus que de délinquance. J’imagine assez bien un centre de vie au milieu d’un grand terrain dans lequel on pourrait faire un peu de jardinage et où l’on pourrait élever quelques volailles et quelques cochons comme le font presque toutes les familles philippines. Je pense que le contact avec les animaux et avec la nature serait tout à fait bénéfique pour des enfants ayant connu des conditions de vie difficiles, parfois effroyables,

– Projet éducatif

L’objectif est d’offrir à ces enfants des conditions de vie normales comme au sein d’une famille unie. Connaissant bien la situation matérielle de la grande majorité des enfants de la région, qui vivent dans des familles très pauvres, je suis persuadé que les conditions de vie que nous pourrions offrir seraient, en fait, très privilégiées. Ici presque personne n’a l’eau courante, beaucoup n’ont pas l’électricité. Quasiment personne n’a la chance de posséder un jardin. La télévision est un luxe. Quant au téléphone, jusqu’à présent seul le maire d’Albuera en possède un.

Les enfants devront être scolarisés. C’est la première chose. Il y a une école primaire à San Pedro, dont je connais bien la directrice et la plupart des enseignants. Il y a deux écoles secondaires à Albuera, jusqu’à la graduation (l’équi­valent du brevet des collèges). Il y a des collèges à Ormoc ou à Tacloban pour ceux qui continuent jusqu’au baccalau­réat.

Au centre, le rôle principal du personnel d’encadrement sera de donner à ces enfants un équilibre affectif et psycho­logique. Chaque cas est un cas particulier et il faut forcément travailler au cas par cas. Je tiens à mettre en place un soutien pédagogique extra-scolaire pour aider les enfants dans leur travail scolaire.

Je tiens absolument également à faire découvrir le milieu environnant avec des visites et des rencontres (villages, travaux agricoles, activités artisanales, pêche, etc…) et des randonnées dans la montagne et dans les environs.

Nous ferons aussi des sorties pour visiter des sites particuliers et les villes de la région. Nous irons découvrir les fonds coralliens avec le bateau d’un pêcheur (mon beau-père a un bateau).

Je tiens également à développer des activités manuelles, artistiques ou ludiques : échecs, guitare,…

Je veux aussi essayer d’intégrer les enfants dans des activités collectives du village (équipe de basket d’Albuera).

Grâce à ce travail d’intégration dans le milieu ambiant, nous devrions éviter, autant que faire se peut, les problèmes de fugue ou de rejet. Les enfants des rues de la ville sont habitués à leur environnement urbain, mais je me refuse à considérer qu’ils ne sont pas intégrables dans un environnement campagnard. Cela nécessite forcément une période d’adaptation, mais il ne faut pas partir battus d’avance parce que tel ou tel a essuyé un échec dans le passé.

Je tiens également à ce qu’ils participent un peu au travail dans le jardin et dans le petit élevage. Je pense que c’est très enrichissant pour un enfant de voir les graines qu’il a semées pousser et se transformer en beaux légumes. Le contact avec les animaux de la ferme est également très équilibrant.

Mais il ne faut pas oublier l’éducation morale, comme on le fait au sein d’une famille. Dans la région la religion catholique est intimement liée à la vie sociale. Etant moi-même catholique pratiquant je veillerai également à ce que les enfants ne soient pas coupés de la vie religieuse des habitants (messe, processions, fêtes religieuses, etc…).

Je connais bien le curé de ma paroisse, Albuera. D’ailleurs, ils doivent obligatoirement être baptisés pour être acceptés à l’école, selon la loi philippine.

Mise en route, fonctionnement

CRÉATION D’UNE FONDATION

Aux Philippines, la structure administrative régissant les actions humanitaires s’appelle Foundation. Cela correspond grosso-modo aux Associations à but non lucratif françaises.

Nous devons donc avant toute chose créer une Fondation. Cela ne nécessite pas de capital comme pour une fon­dation française. Il faut établir un dossier et faire une demande d’agrément auprès des organes administratifs phi­lippins compétents, en l’occurrence la S.E.C. (Security Exchange Commission).

Plusieurs personnes m’ont promis leur aide pour établir ce dossier : Madame Gonzales, directrice du DSWD (Development and Social Welfare Department) pour toute la province de Leyte, Madame Legaspi, directrice du DSWD d’Ormoc, Madame Nelly Majadillas, directrice de la Bidlisiw Foundation à Cebu, et Dominique Lemay, pré­sident de la Virlanie Foundation. L’établissement d’une Fondation est obligatoire pour avoir l’autorisation de fonc­tionner.Cela entraîne également l’obligation d’employer un travailleur social philippin. Etant résidant aux Philippines j’ai le droit d’être membre du bureau de la fondation.Afin que dans l’esprit des Philippins, l’origine de la Fondation soit très claire, j’envisage de l’intituler Fondation France-Philippines.
J’ai l’intention d’impliquer les responsables locaux du DSWD ainsi que certains notables de la région en leur demandant d’être membre du conseil d’administration de la Fondation.

CRÉATION D’UNE ASSOCIATION CARITATIVE-SOEUR DANS MA RÉGION D’ORIGINE

Cette association sera destinée à soutenir l’action de la Fondation, en récoltant des dons et des aides, par divers moyens. Son centre d’implantation et sa sphère d’action sera en premier lieu le Poitou-Charentes, dont je suis originai­re.

Cette association servira également d’intermédiaire entre la Fondation aux Philippines et les différents partenaires en France.

Enfin ce sera également un centre d’information sur nos activités aux Philippines et un lien entre les différents sponsors et la Fondation.

RECHERCHE DE SPONSORS LOCAUX

II existe de très grosses compagnies à Cebu. Il y a aussi des gens immensément riches, tant à Cebu qu’à Leyte. Une de mes tâches sera d’essayer d’amener ces gens à nous soutenir financièrement. C’est un travail de longue haleine mais absolument indispensable pour le développement futur de notre Centre de Vie.

RECHERCHE DE SPONSORS FRANÇAIS

A côté des ONG qui auront permis la création du Centre de Vie, il faudra essayer de trouver de nouveaux financements pour développer de nouveaux programmes. Ce travail, très difficile, mais très important sera effectué en collaboration étroite avec l’association-soeur française.

ACTIONS DE PARRAINAGES

La Fondation pourra servir de relais à une ONG française de parrainage. Le nombre d’enfants non scolarisés nécessi­tant une aide est très important, tant à Leyte que dans les îles Camotes.

ACTIONS D’ASSISTANCE TECHNIQUE POUR DES PROJETS DE DÉVELOPPEMENT

La Fondation pourra servir de relais à des ONG spécialisées dans des activités d’assistance technique au développe­ment (cultures maraîchères, aquaculture, construction d’écoles, interventions chirurgicales, etc…)

BUDGET PREVISIONNEL

Budget de création : 160 à 200 000 F

– terrain (1 hectare)                       40 000 F

– maison d’accueil                        100 à 140 000 F (selon les aménagements et la dimension)

– bureau                                     20 000 F

Budget de fonctionnement :

Une maison d’accueil de 20 lits nécessite un budget mensuel de 13 à 15 000 F à Manille (Fondation Virlanie). Ce bud­get de fonctionnement n’inclue pas le salaire du directeur français.

A Leyte, nous devrions pouvoir abaisser le coût de fonctionnement mensuel à moins de 10 000 F. Nous n’aurons pas de loyer à payer et nous profiterons des légumes et du petit élevage du centre. Mais il faudra ajouter le salaire du directeur français, soit 5 à 6 000 F plus charges sociales.

Personnel :

– 1 responsable français : salaire + charges

– 1 travailleuse sociale philippine : salaire 1000 F + 10 % charges sociales

– 1 couple philippin : salaire 1000 F + nourriture + logement -(femme : maîtresse de maison – homme : gardien, homme d’entretien)

– 1 femme philippine : 500 F + nourriture (garde les enfants la nuit)

– des bénévoles français pour des périodes déterminées

– des bénévoles français pour des actions ponctuelles

– mon épouse me secondera pour des tâches administratives à titre bénévole

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